Première Messe de Pierre Berna à Dannemarie le 17 juin 2007, homélie de Père Claude Muslin

« C’est d’abord un homme qui a reçu de Dieu une vocation sainte, non à cause de ses mérites personnelles mais par pure grâce… chaque prêtre porte quelque part une souffrance cachée mais immense : celle de se dire qu’il a, par ses limites, peut-être éloigné de la foi telle ou telle personne. »

L’essentiel de cette troisième mission je la résume donc dans le fait que la seule perfection est celle de la charité, qu’elle ne consiste pas à faire de grandes et belles choses, mais à faire les choses, mêmes petites, avec grandeur et beauté. Le soir, il s’agit de s’interroger non pas sur  ce que j’ai fait, mais sur qui ai-je aimé aujourd’hui ».

 

Cher Pierre, je suis vraiment heureux et fier de m’adresser à toi, et à vous tous ici présents, en ce jour de fête et de joie.

Qui aurait prophétisé ce moment, ici à Dannemarie, il y a 17 ans, quand nous nous parlions sur les bancs de l’église St Fridolin, moi comme tout jeune vicaire, toi de passage chez ta sœur Christiane?

Et te voilà, je n’ose pas dire jeune, mais nouveau prêtre, et nouveau est le bon terme, car une « nouvelle vie » démarre pour toi. Nicodème ne demandait-il pas au Seigneur : « comment vieux, peut-on naître de nouveau? » Tu as trouvé la solution à 60 ans : en devenant prêtre !

1) La première chose que je voudrais évoquer, c’est le « mystère » de l’appel et des multiples itinéraires de vocation. Celui d’André et de Pierre, en est un, au bord du lac de Tibériade, mais il y a des millions d’autres, et chaque prêtre ici présent pourrait raconter le sien, différent de tous les autres. Une foule de questions sont soulevées, à commencer par les intéressés eux-mêmes. Pourquoi moi ? « Parce que comme dirait les enfants.

Qu’est-ce que j’ai de plus ? « Rien »

Liberté divine d’un « veux-tu ? » demandé par le Seigneur et entendu au fond du cœur.

Mystère de l’appel que je résumerais en trois verbes, tous au passif, le « passif  divin » comme on le trouve dans l’Ecriture sainte quand il s’agit de dire que c’est Dieu qui s’agit : être choisi, être appelé, être consacré.

Etre choisi : je me souviens des copains de fac qui me disaient, de façon « banalisante », à l’annonce de mon entrée au séminaire : « oh, si cela te plaît, si c’est ton choix ». Mais cette manière de voir appauvrissait considérablement ce que j’avais conscience de vivre. Oui, bien sûr, c’était mon choix, mais uniquement comme réponse à un choix premier et plus grand qui m’avait précédé, celui du Christ : « ce n’est pas vous qui m’avez choisis, c’est moi qui vous ai choisi » disait Jésus à ses disciples.

Appelé : beaucoup de personnes se sont faites de l’appel de Dieu. Il n’y a pas que le désir personnel dans une vocation. Il y a un désir et d’une disponibilité personnelle certes, mais rencontrant l’appel de l’Eglise qui passe par un éducateur, un prêtre, une communauté qui nous signifie : « oui, toi, tu pourrais devenir prêtre. »

Consacré : là encore et au plus haut point, on n’est pas maître de ce qui se passe. Car on ne se donne pas à soi-même le sacerdoce. On est saisi tout entier par l’Esprit de Dieu dans le sacrement de l’Ordre. On est configuré au Christ Tête et Pasteur par l’imposition des mains et cela signifie qu’il y a un « être prêtre » avant même tout le « faire » du prêtre en liturgie ou en réunion.

On ne fait pas le prêtre, on l’est, par transformation intérieure, par « opération laser » du Saint Esprit en soi. Au début de mon sacerdoce je me souviens que j’étais très gêné quand les gens me demandaient de les bénir. J’ai dû apprivoiser la grâce de l’ordination en moi, car c’était celle que les gens venait chercher et non ma propre personne.

2) J’aimerais aussi évoquer en ce jour, le ministère du prêtre, selon la manière très classique de ses trois missions : au service de l’annonce de la Parole de Dieu et de la foi de l’Eglise, au service de la sanctification de l’Eglise et au service de la conduite pastorale du peuple de Dieu.

a) Qu’est-ce qu’un ministère ? C’est quelque chose de très vaste et d’unifiant même, je crois. Car il ne s’agit pas uniquement de faire des belles homélies ou de la catéchèse, même avec facilité (ou parfois avec une aisance trompeuse s’il manquait l’essentiel.)

En effet, s’il y a d’abord un « être prêtre », cela signifie que pour le prêtre, c’est en premier, sa vie même qui doit devenir « parole ». Il doit mener une « vie signe », une vie « parlante » du Christ et de son évangile par une cohérence globale de son existence avec ce qu’il annonce. Le célibat est une manière de dire qu’il y une « vie signe » qui parle avant tout autre parole.

Ce ministère de la Parole demande aussi que le prêtre ait « sa vie assaisonnée par l’Ecriture » selon une expression de St Jérôme. La lectio divina doit être présente au quotidien, gratuitement.

Cela signifie aussi qu’il ait le souci constant, selon le témoignage qu’on portait sur St Dominique de « parler à Dieu ou bien de Dieu ».

Enfin, cela signifie également qu’il sache lire la Parole de Dieu dans la vie des gens.

Qu’il sache découvrir, comme Paul le faisait à propos des chrétiens de ses communautés, qu’ils sont « lettre du Christ » confiée à son ministère (2Co 3,3)

Les gens ont tant à nous apprendre si on sait être attentif.

b) Ministre de l’Eucharistie et des sacrements (notamment du baptême et du pardon, car comme dans l’eucharistie, le prêtre y prête spécialement son « je » au « je » du Christ : « je te baptise », « je te pardonne », ceci est mon corps ». Autant d’expressions d’un effacement radical, bouleversant, où « l’être prêtre », sa configuration à la personne du Christ, éclate au grand jour.

Par notre voix, c’est la voix même du Seigneur qui s’exprime.)

Cette mission de sanctification je la vois résumée symboliquement et liturgiquement par 3 temps de la messe :

L’offertoire, la consécration et la communion. Comme si c’était là que se condensait toute la vocation du prêtre.

En effet je vois le rôle sacerdotal du prêtre dans sa mission « d’offrir les hommes à Dieu », « d’offrir Dieu aux hommes », afin « d’offrir les hommes entre eux. »

Pour offrir les hommes à Dieu le prêtre doit les connaître (leur souci, leur travail, partager leur vie dans la rue (leur souci, leur travail, partager leur vie dans la rue, les quartiers, les immeubles…) et les aimer (« aimez les gens » s’écriait une année Mgr Doré lors de d’ordinations, « les gens, est-ce que je les aime suffisamment et suffisamment bien? », voilà le mode de présence du prêtre aux hommes. « Ne restez pas à distance des gens sous prétexte de prière, de piété, ou de sainteté. Oui, aimez les gens, il n’y a rien de plus important. »)

Mais on sait bien que cette dimension relationnelle, conviviale, sociale du prêtre, il ne peut s’en contenter. La « pastorale des serrements de mains » oui, mais si cela aide les gens à les ouvrir à Dieu.

D’où le deuxième mouvement « d’offrir Dieu aux hommes ». Il y a une soif d’infini, de sens, d’amour qui n’a que Dieu comme réponse.

Il y a un cinquième monde (à l’instar du quart-monde) qui est la misère spirituelle.

Au moment de la consécration, le prêtre comprend sa mission de donner le Christ, prolongeant la volonté de Dieu,  de se communiquer au monde dans son Fils.

Enfin, dans un troisième mouvement, de même que l’eucharistie est le haut-lieu de la rencontre de Dieu et des hommes, de même il est le carrefour de la rencontre et de la communion des hommes entre eux.

Le prêtre est l’homme de la communion, dans tous les sens du terme. Il l’est symboliquement au moment du geste de communion eucharistique où les gens ne restent plus seulement côte à côte dans leur banc, mais deviennent cœur à cœur, dans la communion au Christ.

Ta capacité relationnelle, Pierre, sera précieuse, mais qu’elle soit toujours « eucharistique », c’est à dire au service de la rencontre de Dieu et des hommes, et des hommes entre eux.

c) Je finirai par la troisième mission du prêtre : la conduite du peuple de Dieu.

Il est chargé de marcher à la tête du troupeau, au nom du Christ Tête de son Corps. Il est le premier de cordée. Son ordination le lui demande. C’est à lui qu’il revient de « présider », et c’est qu’il lui faut souvent animer des conseils, consulter, prendre des décisions et parfois trancher au risque que cela ne plaise pas toujours inévitablement.

C’est dans cette mission qu’il touche peut-être le plus du doigt ses limites. Car il n’est pas parfait, loin de là. S’il y a un Grand Sacerdoce, celui, unique du Christ, il n’y a que de petits prêtres (et pas juste en taille, Pierre), petit en capacité, aisance, compétence même. Un texte humoristique écrit par un prêtre disait de lui : « il faudrait qu’un prêtre soit…

Un homme qui s’est battu devant les puissants,

Un chef du troupeau efficace,

Quelqu’un porteur de dons innombrables,

Un homme ayant fréquenté tous les champs de bataille,

Un serviteur de timides et des faibles,

Un homme tendu vers le haut mais les pieds sur terre,

Avec la sagesse de l’âge mais la confiance de l’enfant,

Connaissant la souffrance mais semeur de joie…

Donc si différent de moi !!!!

Soyez indulgents. Exigeant certes, mais sans écraser. La charge est déjà lourde.

Le Père Damien Reitzer, décédé trop tôt à 31 ans en 1998, et dont la mémoire habite cette paroisse où il fut vicaire écrivait dans sa toute dernière homélie d’au revoir qui devint un adieu : « un prêtre ce n’est pas un superman ni un ange désincarné.

C’est d’abord un homme qui a reçu de Dieu une vocation sainte, non à cause de ses mérites personnelles mais par pure grâce… chaque prêtre porte quelque part une souffrance cachée mais immense : celle de se dire qu’il a, par ses limites, peut-être éloigné de la foi telle ou telle personne. »

L’essentiel de cette troisième mission je la résume donc dans le fait que la seule perfection est celle de la charité, qu’elle ne consiste pas à faire de grandes et belles choses, mais à faire les choses, mêmes petites, avec grandeur et beauté.

Le soir, il s’agit de s’interroger non pas sur « ce que j’ai fait » mais sur « qui ai-je aimé aujourd’hui ».

Alors on n’aura jamais perdu son temps malgré la succession de tâches parfois très matérielles ou administratives souvent desséchantes. Aider quelqu’un à grandir, à passer un cap, à nourrir son service, à découvrir sa place, à valoriser un bien réalisé, voilà la tâche du pasteur.

Je me souviens qu’au début de mon vicariat des personnes venaient me dire : « on est prêt à vous aider ». Mais j’avais bien conscience que c’était l’inverse qui devait se mettre en place : « ce sera à moi d’aider votre vie baptismale et votre responsabilité baptismale, votre fidélité chrétienne, votre croissance spirituelle. »

Pour conclure ce partage de ce qui fait aussi ma vie de prêtre je voudrais finir par la joie et ce mot d’enfant : « le prêtre c’est l’homme qui dit que la joie c’est Dieu. »

Pierre, tu es un homme sensible à la joie de vivre, toute méridionale, qu’elle devienne vraie acte de vertu et de  charité car « offrir un visage joyeux c’est le premier acte de charité à vivre » me disait mon père spirituel au séminaire. Une joie qui n’agresse pas le triste ou le découragé mais qui ouvre une espérance, sans culpabiliser. On n’est pas responsable de la tête qu’on a mais de la tête qu’on fait. Et cela dépendra, Pierre, du choix préférentiel du Christ que tu feras tous les jours. Christ premier servi, le reste te sera donné de surcroît. A l’image de Marie, « Notre Dame », si vénérée ici, continue de dire « oui ». Que sa prière t’accompagne.